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Jours de guerre au Carlton avec Escoffier

Gérard Allemandou - Le Blog Gallica

26 janvier 2023


Le 4 août 1914, le Royaume-Uni déclare la guerre à l'Empire allemand. Auguste Escoffier continue pendant la guerre à travailler au Carlton. Plongeons ensemble dans les livres des cartes de cette si particulière période.



Dès le mercredi 12 août 1914 des changements sensibles


Nous disposons sur la période de huit livres des cartes du Carlton couvrant du 12 août au 10 septembre 1914, du 15 janvier au 15 février et du 20 avril au 21 juin 1915 et enfin du 10 mai au 27 novembre 1918. La structure du jour en trois pages, analysées dans de précédents billets, reste identique. La première page ne donne que des menus pour le personnel, fini les menus du déjeuner et du dîner, fini les soupers…


La page du déjeuner comporte un menu à prix fixe du midi à "5", on peut penser pence c’est-à-dire environ 45 euros d’aujourd’hui avec toute la relativité nécessaire. Escoffier propose des hors d’œuvre, une entrée avec le choix entre œufs ou poisson puis le choix entre deux plats de viande, à nouveau le choix entre un rôts et une viande froide. On finit par un dessert, entremets ou pâtisserie. De quoi satisfaire l'appétit ! Sur la même page suit un court menu du "grill-room" ou "luncheon" qui propose cinq plats de cuisine et une viande rôtie que l'on peut penser présenter dans un chariot à découper, en rotation, un roast-beef, une selle d'agneau ou une longe de porc.



La carte du dîner ne change guère, juste un peu diminuée. Au moins huit potages, quinze plats de poissons dont toujours cinq recettes de soles et trois de homard, onze entrées, sept rôts de volaille et de gibiers selon la saison, cinq à sept viandes froides, huit à dix légumes et au moins dix pâtisseries et glaces dont les plus souvent un dessert signature du type "pêche melba".


L'incidence de la conscription


L'ambiance régnant à Londres dès ce début de guerre modifie certainement les habitudes des clients, l'air ne serait plus à la "Belle Époque" ; on sort moins et les propositions de menus s'en ressentent. Cependant une autre raison peut-être avancée. Escoffier a-t-il à sa disposition tout le personnel de sa brigade ? Dès le début de la guerre, le personnel de cuisine, à grande majorité français, a été saigné par le rappel en France pour la conscription. Escoffier dut certainement réduire la voilure. En effet, il écrit à son collègue Carton le 9 juillet 1917 :


Il vous sera certainement agréable de connaître ce que les quelques cuisiniers français restés à Londres font pour venir en aide aux femmes et aux enfants de leurs collègues mobilisés."

La page du Jeudi 13 août 1914 comporte un commentaire qui reste significatif de la veine sociale d'Escoffier, comme le menu du personnel qui reste pour le moins surprenant en temps de guerre : un potage, un poisson avec un légume, une viande, souvent de l’agneau avec un légume, un dessert, souvent un entremet. Bien des employés rêveraient aujourd'hui d'être ainsi traités !



Un approvisionnement satisfaisant


Peu de choses changent cependant jusqu'à juin 1915, fin des carnets pour ces deux années. Les produits travaillés en cuisine restent pratiquement les même comme le note Escoffier :

En considérant les choses en ce moment au point de vue de l'alimentation, on se refuserait de croire que l'Angleterre est en guerre car bien que les prix soient élevés la pénurie de denrées ne se fait pas encore trop sentir, ni par la qualité ni la quantité.

Cependant en janvier 1916, est déclaré "un état de guerre totale" avec la première conscription de l'histoire britannique. La Kitchener's Army, recrutera deux millions de volontaires. Progressivement l'approvisionnement va se tendre. Les produits de France et d'Italie se raréfient. En effet, à partir de janvier 1917, l'Allemagne lance ses sous-marins à la chasse des navires faisant route vers la Grande-Bretagne pour affamer le pays.

En février 1917 le gouvernement britannique met en place le rationnement volontaire, Lord Devonport, contrôleur de l'alimentation pense que :

la nation sera capable de décider si elle se rationnera... et évitera ainsi qu'elle y soit contrainte. Nous abhorrons tous l'idée de contrainte... et son caractère si peu anglais."

Le rationnement volontaire arrivera-t-il à ses fins. Nous le verrons dans un prochain billet grâce aux trois carnets d'avril à novembre 1918.


Pour aller plus loin...

  • Papilles n°53, Escoffier : un engagement social et humaniste, qui a pour titre Une vision sociale du métier de cuisinier : Escoffier précurseur.

  • Manning, Jonathan. “LA GUERRE ET LA CONSOMMATION CIVILE A LONDRES, 1914-1918.” Guerres Mondiales et Conflits Contemporains, n°183, 1996, pp. 29–45.




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